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     Gris souris et bleu turquoise, tels étaient les coloris choisis pour notre toute nouvelle chambre ! Elle était spacieuse et bien éclairée grâce à la fenêtre qui donnait directement, depuis le premier étage sur notre jardin très verdoyant en cette matinée printanière. Les herbes étaient un peu folles,  la haie de lauriers et de photinias avait un peu trop pris ses aises et débordait sur le mur blanc des voisins, peut-être voulait-elle tenir la dragée haute à l’énorme bougainvillier aux fleurs fuchsia posé sur un coussin capitonné de lantanas jaunes et  orange vif, planté juste en face !

La journée s’annonçait radieuse, j’avais un rendez-vous  en ville dans trente minutes, le temps de faire mon lit et hop, je filerai à la douche ensuite pour me préparer ou pour, selon mon odieux et implacable  miroir, réparer ma mine chiffonnée et mes cheveux en bataille.  J’étais en train de secouer mes oreillers à la fenêtre quand un coup de vent claqua la porte de la chambre. Je pris le temps de finir tranquillement mon lit quand voulant sortir, je réalisai  que la porte avait bien une serrure mais sans clef ! Aïe j’étais seule dans la maison jusqu’au soir, et je n’avais pas mon portable avec moi. Pas de panique. J’allais sans peine actionner le pêne de la serrure avec le stylo trouvé sur ma table de chevet, en le glissant dans  le carré , comme avec ce jeu d’éveil pour petits pour apprendre à rentrer  les ronds dans les formes rondes et les carrés dans les formes  carrées – visiblement ce n’était pas acquis pour moi, un rond dans un carré , tssss ! Maugréant contre mon infortune, de la fenêtre je m'époumonai en appels désespérés vers mes voisins. Personne. Soudain une idée de génie me traversa l’esprit, je me mis à fouiller dans mon coffret à bijoux pour trouver une boucle d’oreilles salvatrice : tel McGyver, je crochetai la serrure.  Mais quel menteur ce type, ça ne fonctionna pas du tout ! J’aurais pu tout aussi bien nouer des draps mais avec une couette cela devenait un peu plus complexe à réaliser.  Mais l’heure tournait et toujours pas de solution. Je commençai sérieusement à me demander si je n’allais pas passer la journée dans ma chambre, allongée à regarder le plafond tout en fredonnant Sur le pont de Nantes ou en déclamant à la fenêtre  Anne ma sœur Anne…Qu’on me donne  un Cyrano ou un Roméo ! Viiiite !

Un bruit de tondeuse me sortit rapidement de mes  pensées romanesques et oiseuses, et depuis la fenêtre j’aperçus Pierrot, notre jardinier ! Miracle, le voilà mon héros. Je l’interpellai à grands cris « Monsieur Pierrot, hou hou » rien. Je fis de larges moulinets avec mes bras comme les gars sur les porte-avions, rien. J’essayais de garder mon calme quand tout à coup, les rugissements de la tondeuse s’arrêtèrent, aussitôt je réitérai mes cris d’orfraie et enfin il leva vers moi son visage rougeaud, souleva sa  casquette Ricard et me salua ! Il portait son éternelle vareuse bleu délavé sur son pantalon kaki façon camouflage, sans doute pour mieux se fondre dans le paysage !

« Ah Monsieur Pierrot, bonjour ! Pourriez-vous monter dans ma chambre s’il vous plaît ? dis-je en hurlant, car je savais Pierrot un peu dur de la feuille, le comble pour un jardinier !

- Euh ? dit-il en se grattant la tête, ce qui chez lui était signe d’une réflexion plutôt intense

Consciente soudain de l’incongruité de ma demande vu ma tenue légère et préférant éviter tout quiproquo, j’ajoutai :

- Je suis coincée dans ma chambre, la porte a claqué et je n’ai pas la clef. Il faudrait prendre un gros tournevis  (un bref instant je réalisai  l'ambiguïté de mon propos ) ou quelque chose dans le genre, vous en trouverez dans le garage, sur l’établi. »

 

Pierrot opina de la casquette, disparut de ma vue quelques minutes puis monta lourdement les escaliers quand je l’entendis enfin traficoter dans la serrure. Et la porte s’ouvrit. L’apparition triomphale de Pierrot son outil à la main (…) me le fit applaudir sans retenue, oubliant mes atours impudiques, toutefois je compris rapidement que, passant de rubicond à pudibond Pierrot préféra prendre la poudre d'escampette sans m'entendre lui crier  Merci  Pierrot mon sauveur...en herbe !  

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