Les Petits Ecrits
de Zazie
Aïe Caramba !
Partir en voyage avec mon frère faisait partie des réponses aux questions habituelles du genre « quand tu seras à la retraite, quelle est la première chose que tu feras ? » . Dont acte. Ah comme nous l’avions préparé ce périple Jean-Paul et moi. Première étape : où partir, vers le chaud ou le froid ? Chaud. Quelle catégorie ? Luxe ****, plage de sable blanc, pina colada, transat, mer turquoise ou mode routard, bandana, Converses, vie d’autochtones, et jus d’ail ? Roots bien sûr, nous sommes des warriors hein ma Juju (Juliette, c’est moi). Nous avions en main notre guide Jetlag - destination San Sombrero. Nous l’avions épluché de A (au secours) à Z (zigouillé), annoté et corné. Jour J – excités comme des puces, nous avions sur le dos nos sacs Mégathlon remplis ras la gueule, et ressemblions à des tortues, bras et jambes de part et d’autre, têtes dodelinant de droite à gauche pour nous repérer dans l’espace. Nous avions décidé de prendre un Blablaplane pour relier Beauvais à San Sombrero, et nous n’avons pas été déçus, cet avion Aircrash au look Vintage qui arborait crânement sur sa carlingue un cœur entourant Ernesto & Fidel était dans les starting-blocks, tout comme nous, pour décoller ! Nous partagions le vol avec un couple, disons, original, qui s’apparentait assez à une vieille mère maquerelle botoxée à mort et à la peau si tirée que j’ai craint un moment que la pression fit péter les coutures, et un mâle dominant mi-gorille mi-Demis Roussos au QI dans le surgelé. De toute façon, les hélices faisaient tellement de bruit qu’engager une conversation était inutile. Le fuselage tremblait de partout, nous étions bien secoués, pas besoin de repas…nous en rendions suffisamment ! Quelques escales et quelques paires d’heures plus tard – je ne parlerais pas de l’inconfort de nos sièges très collés serrés ni des ronflements de tracteurs John Deere incessants de nos compagnons de voyage – nous atterrissions enfin sur ce qui semblait être un ancien court de tennis, le filet troué faisant office de stop final. Jean-Paul et moi nous nous réjouissions d’être enfin parvenus (vivants) à CACAPALA, ville côtière de San Sombrero. Une banderole à moitié arrachée flottait sur le hangar de l’aérodrome « Bienvenido à CACA ».
CACAPALA à ne rater sous aucun prétexte stipulait le guide. Nous avions hâte de tâter le pouls de cette cité et pour aller à notre logement, nous avons hélé le premier tuk-tuk venu, nous nous sommes installés derrière le chauffeur unijambiste… deux km et deux heures plus tard (j’avais eu un peu mal au cœur tant nous avions tourné en rond), il nous déposa à la pension de famille ELGRINGOGO tenue - d’après le guide que nous suivions scrupuleusement - par une famille aussi sympathique que les Thénardier. Nous n’avions pas été déçus, oh non ! A notre arrivée, le père était en train de canarder avec son fusil à pompe une famille de rats, la mère beuglait « un rat dégommé, tu m’amuses, tu m’amuses, un rat dégommé, tu m’amuses mon gros José » (traduction approximative de mon frère qui avait fait espagnol seconde langue) et leurs deux fillettes dessinaient des bâtons à la craie sur un tableau noir…J’en comptais douze. Autant que de dents qui émaillent (pas Diamant) la bouche de Juanita la mère ! [NdA : il est curieux de constater qu’ici comme en Molvanie autre pays remarquable recommandé par Jetlag, San Sombrero est aussi une terre oubliée par la dentisterie moderne].
Nous voulions du typique, du vrai nous en avions, notre « hôtel » était en fait l’ancienne prison de la ville. Traversé par un éclair de génie, le Président actuel, Paquito Chocolatero, décida que les habitants étant tous des bandidos, les centres d’incarcération devinaient ipso facto inutiles et en fit immédiatement des hôtels pour accueillir les touristes. C’est ainsi que nous avions rejoint notre cellule dénommée Hannibal Lecter et que nous nous étions partagé les paillasses. Odorantes et crasseuses, garantie 100 % d’origine. Dans la cellule voisine Jack Torrance, nous avions retrouvé nos « amis » de Blablaplane, ce dont nous n’étions pas ravis. Aussi, nous avions décidé de nous promener dans le quartier, nous marchions, nos yeux pleuraient, et nous toussions, une espèce de brume nous enveloppait, un parfum d’œuf pourri flottait, notre hôtel jouxtait l’usine à souffre. C’était parfait, nous bénéficions des bienfaits du soufre gracieusement et de façon très naturelle comme le guide l’avait indiqué !
Nous avions aussi relevé dans le guide que les massages médicaux ancestraux étaient une spécialité locale et vivement conseillée, et c’est vrai qu’après notre voyage aérien Orangina, « un bon massage ne pouvait nous faire que du bien, pas vrai ma Juju » dixit Jean-Paul. Je ne voulais pas le décevoir et je fis semblant de partager son enthousiasme mais en réalité je ne suis pas une grande amatrice de massage. Mais après tout si c’était leur domaine, et que cela faisait tant plaisir à mon frère de me faire découvrir les vertus d’un bon massage… Jean-Paul finit par dégoter le lieu idéal, il s’était fait aborder par une plantureuse métisse, lui vantant les différentes offres de massage proposées par son établissement. Nous acceptions et nous fûmes pris immédiatement en charge par la matrone du lieu qui nous amena dans une chambre borgne au papier peint défraîchi ; derrière un paravent, elle nous expliqua par signes d’ôter nos habits et de passer une tunique (difficile de distinguer quel relent me piquait les narines). Installés sur nos lits, nous vîmes arriver nos masseurs, deux pubères. Des spécialistes des massages, ces deux ados ? Je commençais à transpirer quand je vis qu’Adolfo (c’est le prénom qui m’est venu quand je le vis et Enrico pour son copain) se mit à genou sur mon dos, il me susurra à l’oreille " Está bien para ti ? * - euh je sais pas ! " Prenant mon hésitation pour un acquiescement, il entreprit donc de me masser, le dos, enfin plus exactement, il soulevait mes côtes une par une comme s’il voulait les récupérer pour préparer des travers de porc, j’étais ultra crispée, ce qui lui donnait du fil à retordre au sens propre ! Et que je te roule la peau et que je te la palpe, mais quelle horreur, j’avais la sensation qu’il travaillait un vieux morceau de barbaque et toujours son éternelle phrase " Está bien para ti ? - non connardo, ça va pas ! " Lorsque je l’ai senti descendre de mon dos, le soulagement me gagna, mais brièvement, car aussitôt il s’en prit à mes cuisses et mes mollets, il me les malaxait comme de la pâte à pain et faisait des points de pression de ses doigts, j’avais la sensation qu’il utilisait plutôt des maillets pour attendrir la viande, je soufflais comme un bœuf et tentais de me contenir. Pendant ce temps, j’entendais mon abruti [NdA : à ce moment précis, je le détestais, vraiment] de frère pousser des gémissements d’aise et de béatitude, cela m’agaçait encore plus, comment un être normalement constitué pouvait apprécier ses pseudo-massages, de la torture oui ! Comme un mantra je me répétais à mi-voix « ça va pas être possible, ça va pas être possible ». Ouf, son hachage en règle de mes membres inférieurs prit fin ! Et avant que je n’ai eu le temps de répondre à sa p*** de question " Está bien para ti ? " il se rua sur mes pieds, alors là non, je ne pouvais pas, on ne touche pas à mes pieds ! J’ai crié "no los pedos, no los pedos (j’ai fait allemand deuxième langue !) " sans effet, alors, je les lui ai envoyés direct dans son nez en hurlant comme une folle "vous n’aurez pas mes pieds ", il se mit à saigner et à beugler comme un veau. Mon frère sortit de sa torpeur médusé par ce qui était en train de se passer " mais ma Juju… -Ta gueule ! " J’étais hystérique et prête à tuer le premier qui s’approcherait. La matrone arriva, poussa des cris d’orfraie en voyant le tableau, moi déchaînée à moitié à poil, mon frère tentant une explication "no tirado les orteillos de my sistero" (espagnol seconde langue, pincez-moi !), et les deux masseurs terrorisés remballant leurs affaires. Pour nous en sortir au plus vite, mon frère mit dans la grosse main de la matrone une poignée de dollars, un sourire fit entrevoir une bouche sans dents (c’est la sœur de Juanita ou quoi ?) et la possibilité de s’extraire de cet endroit sans course poursuite.
Le retour fut silencieux, Jean-Paul maugréait "j’étais si bien… ", et moi je n’avais toujours pas enlevé la soupape. Mais les émotions creusant, je finis par demander à mon frère s’il n’avait pas une petite faim…Je savais que je touchais un point faible chez lui, son ventre ! Encore un peu ronchon il m’avoua que oui. Nous avisions un vendeur ambulant qui proposait la fameuse barbacoco (d’après le guide, une des spécialités culinaires locales, la barbe à papa fabriquée à partir de cocaïne colorée). Et là, nous partîmes en vrille et en escadrille, nous piquions des cents mètres, à reculons, en pas chassés, à cloche pied, hurlant de rire à chaque passage de relais, une matraque ramassée dans le caniveau, nous apostrophions les passants, baragouinant des blagues potaches interminables et visiblement hilarantes…pour nous. Nous chantions à tue-tête « legalization cannabis, basta la prohibicion» et dansions une rumba du diable voulant entraîner dans notre délire la foule excédée qui commençait à s’agglutiner autour de nous.
Alertée par des autochtones énervés, la police montée sur ses grands chevaux mit fin à notre démonstratif duo impétueux et nous conduisit directement à notre cellule, qui pour l’heure servit aussi de dégrisement sous la surveillance étroite de l’effroyable taulière Juanita. Quel coup de génie ce Paquito tout de même ! Et puis, les effets passés – 72 h au moins -, nous prîmes la décision de poursuivre notre voyage, quittant avec regret CACAPALA pour CUCARACHA CITY, choisie dans le guide pour ses nombreuses rubriques alléchantes, notamment pour ses nombreux parcs et espaces verts aux mains des gangs de mariachis ! Toutefois, notre séjour fut raccourci de deux semaines. Nous avions dû faire un (très gros) don obligatoire à Paquito.
Notre courte mais intense odyssée finie, et avant de rentrer chacun chez soi, Jean-Paul et moi nous nous sommes quittés en nous promettant, juré craché, que notre prochain voyage serait tout aussi explosif.
Et il ne le sait pas encore mais je l’ai déjà trouvé : la République de Kalachnikov, le pays d’où l’on ne se tire jamais !
*pour les non hispanisants, « tout va bien pour toi ? »